Objectif ZAN : pourquoi la nomenclature de l’artificialisation des sols fait débat ?
Depuis sa publication à l’article 192 de la Loi Climat et Résilience (22 août 2021), l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols suscite des interrogations. Le décret précisant son application et la nouvelle nomenclature de l’artificialisation des sols, publié le 29 avril 2022, a particulièrement fait débat. Entre objectifs louables et difficultés de mise en application et de financement, les élus pointent certaines incohérences.
Decryptage de ce décret et pistes de réflexion en faveur d’une nomenclature plus nuancée.
Textes relatifs à la nouvelle nomenclature de l'artificialisation des sols
Pour rappel, le nouvel article L. 101-2-1 du Code de l’Urbanisme introduit par l’article 192 de la Loi Climat et Résilience définit :
Artificialisation
Altération Durable :
- De tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol,
- En particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques,
- Ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.
Désartificialisation
Actions ou opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.
Le Décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme, précise quant à lui :
Méthode de calcul
« La réduction de l’artificialisation nette est évaluée au regard du solde entre les surfaces nouvellement artificialisées et les surfaces désartificialisées sur le périmètre du document de planification ou d’urbanisme, et sur une période donnée. Afin de mesurer ce solde, le décret prévoit que toutes les surfaces couvertes par ces documents soient classées comme artificialisées ou non artificialisées selon les catégories d’une nomenclature annexée au décret. Ces surfaces sont appréciées compte tenu de l’occupation des sols observée qui résulte à la fois de leur couverture mais également de leur usage. »
Nomenclature de l’artificialisation des sols
(tableau ci-dessous)
CATEGORIES DE SURFACES | |
Surfaces artificialisées | 1° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison du bâti (constructions, aménagements, ouvrages ou installations). |
2° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison d’un revêtement (artificiel, asphalté, bétonné, couvert de pavés ou de dalles). | |
3° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux. | |
4° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont constitués de matériaux composites (couverture hétérogène et artificielle avec un mélange de matériaux non minéraux). | |
5° Surfaces à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures notamment de transport ou de logistique, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée, y compris si ces surfaces sont en chantier ou sont en état d’abandon. | |
Surfaces non artificialisées | 6° Surfaces naturelles qui sont soit nues (sable, galets, rochers, pierres ou tout autre matériau minéral, y compris les surfaces d’activités extractives de matériaux en exploitation) soit couvertes en permanence d’eau, de neige ou de glace. |
7° Surfaces à usage de cultures, qui sont végétalisées (agriculture, sylviculture) ou en eau (pêche, aquaculture, saliculture). | |
8° Surfaces naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel, qui n’entrent pas dans les catégories 5°, 6° et 7°. |
Rappelons tout de même que cette nomenclature ne s’applique pas aux objectifs de la première tranche de dix ans prévue par la loi Climat et Résilience. Elle n’entrera alors en vigueur qu’à partir de 2031.
Un temps qui pourrait être profitable à des concertations en vue d’une évolution des catégories…
Le ministre de la Transition écologique Christophe Bechu demande lui-même aux préfets de temporiser la mise en application de ce décret, admettant qu’il y a « des points qui apparaissent comme objectivement améliorables » (sources : articles Banque des Territoires ; Batinfo).
Sénateurs et élus locaux avaient en effet alerté sur les difficultés de mise en application et les incohérences de la nomenclature des sols artificialisés, qui « découragerait les initiatives de renaturation en ville » (source : article La Gazette des Communes). Christophe Bechu appelle alors à s’appuyer sur le processus prévu par la loi, à savoir, passer par la concertation (Conférences des SCoT fin octobre) puis la mise en conformité des documents de planification : Sraddet, SCoT, PLU (source : article Maire-Info).
Pistes de réflexion en faveur d’une nomenclature plus nuancée des sols artificialisés
Désartificialisation des sols : l'opportunité du renouvellement urbain
L’objectif Zéro Artificialisation Nette en 2050, c’est avant tout la lutte contre l’étalement urbain et la destruction d’espaces naturels et terres agricoles. La première tranche de 10 ans (à horizon 2030) prévoit en effet la réduction par deux de la consommation et appelle à la sobriété foncière. Rappelons-le, en France ce sont 28 190 hectares de plus artificialisés chaque année, soit presque trois fois la surface de Paris. Néanmoins, pour répondre aux besoins des territoires, l’objectif ZAN n’impose pas une interdiction simple mais utilise la séquence «éviter, réduire, compenser» pour lutter contre l’artificialisation (source : ADEME).
Dans les séquences ERC, les mesures compensatoires sont encore difficiles à évaluer. En premier lieu il convient bien sûr de privilégier l’évitement, afin de stopper l’artificialisation des terres agricoles et espaces naturels. Cela implique de s’interroger sur le réel besoin de construire (en volume) et, en parallèle, de recourir à des dispositifs existants (reconversion des friches, lutte contre la vacance, renouvellement urbain, densification). La planification régionale, concernée par la ZAN, s’empare de ces enjeux complexes à intégrer aux ambitions de développement économique, social et d’attractivité du territoire.
Quoi qu’il en soit, au travers de l’objectif ZAN, il faut profiter de chaque opération de réhabilitation et de reconstruction pour améliorer les fonctions écologiques des sols aménagés. Dans cette stratégie de renouvellement, chaque espace peut être repensé de façon à réintroduire la nature, redonner une place à l’eau et à la végétation au milieu du bâti, et recréer ainsi des continuités écologiques. On parle désormais d’urbanisme circulaire. La ville se reconstruit sur elle-même, souvent avec une logique de densification et au profit de la création d’aménagements plus durables. C’est précisément sur ces opérations de renouvellement que la carte de la «désartificialisation» doit être jouée, mais seulement si la nouvelle nomenclature peut s’adapter aux réalités terrain.
Pour répondre aux usages, il n’est pas toujours possible de renaturer à 100% les espaces. Redonner à un sol « un état proche de son état naturel initial » (selon la définition de la ‘Renaturation’ de France Stratégie) est un processus long et qui engage bien des paramètres liés au degré d’imperméabilisation, de perturbation et à la position du sol artificialisé. Il est peu probable de parvenir à une renaturation complète des sols dans nos tissus urbains contemporains. Des solutions existent néanmoins pour restituer aux sols aménagés certaines de leurs fonctions écologiques.
En effet, et dans ce contexte terrain, la renaturation des sols ne devrait pas s’entendre stricto-sensus, mais davantage comme une stratégie de re-fonctionnalisation des sols. On parle alors de technosols – ou anthroposols -, sols construits ayant pour objectifs de restaurer certaines fonctions écologiques essentielles des sols.
Les fonctions écologiques des sols : les oubliées de l'actuelle nomenclature de l'artificialisation des sols
Dans ce contexte, il semble en effet profitable que la nomenclature de l’artificialisation des sols prenne en compte les fonctions écologiques des sols construits. Pourquoi alors ne pas envisager un système de pondération des sols aménagés qui viendrait nuancer cette classification binaire “sol artificialisé » ou “sol naturel” ?
Cela ne concernerait pas, bien entendu, les sols artificialisés pour les besoins du bâti (catégorie 1), mais de nombreux types de surfaces au sein des infrastructures et de l’espace public : places, trottoirs et voies pédestres, aires de stationnement, espaces verts, aires de loisirs et parcs, etc. Finalement, il s’agirait de tous ces espaces répondant aux besoins des activités humaines et dont l’usage permet des techniques de construction moins destructives.
Un peu à la manière du calcul du coefficient de Biotope par Surface (CBS) qui tient compte de certaines fonctions écologiques des surfaces aménagées, il est possible d’imaginer un classement ou une pondération de ces sols artificialisés selon leurs fonctions biologiques, hydriques et climatiques. En partant de la nomenclature actuelle, on pourrait par exemple transformer les catégories 3, 4 et 5 pour en faire une catégorie intermédiaire. Celle-ci permettrait de mettre en valeur les fonctions liées à la perméabilité, au couvert végétal ou encore à la présence de matière organique dans des sols certes construits, mais qui assurent certaines fonctions écologiques de par leur conception.
Mesure de l’enracinement au sein d’un système de sol végétalisé en dalles alvéolaires (O2D GREEN)
Etude réalisée par le Laboratoire d’Analyses Microbiologiques des Sols, 2019
Sols artificialisés et services écosystémiques
Cette « renaturation » (ou plutôt refonctionnalisation) des sols au travers de l’objectif ZAN est d’autant plus importante dans le contexte actuel d’événements climatiques extrêmes. Les effets néfastes de l’imperméabilisation et de la minéralisation des sols en milieu urbain sont connus (saturation des réseaux d’assainissement, inondation, pollution des masses d’eau, érosion de la biodiversité, îlots de chaleur, etc.). Pour inverser la tendance, les services écosystémiques offerts par les sols sont un maillon essentiel de la résilience urbaine : régulation des flux, filtration et épuration des eaux, régulation des Gaz à Effet de Serre, biodiversité, siège des cycles biogéochimiques, etc.
En parallèle des avancées techniques, des études scientifiques s’intéressent ces dernières années au potentiel environnemental des sols aménagés, lié à leurs fonctions biologiques, hydriques et climatiques.
O2D ENVIRONNEMENT, spécialisé dans l’aménagement de systèmes de sols perméables et végétalisés a ainsi publié deux rapports, portant sur le comportement thermique et l’étude de la biodiversité des sols au sein de ses solutions, notamment végétalisées. Les résultats démontrent que le comportement de ces systèmes de sols construits s’approche de celui des sols naturels en termes de régulation hydrique, thermique et représente un environnement favorable au développement d’une pédofaune variée.
Afin de contribuer aux réflexions liées à la planification urbaine des territoires et améliorer les pratiques de construction, les données scientifiques sont indispensables. Le champ de recherche sur le comportement des technosols est vaste. Encourageons aujourd’hui les études sur cette thématique afin de conforter – ou infirmer – les directions pressenties.
Documents et liens utiles
Aménager en restaurant le lien eau – sol – végétal